C
onnaissez-vous cette sensation de tomber ? L'angoisse que l'on ressent alors, dans
l'attente qui semble infinie de toucher le fond ? C'est ce que je ressens constamment, à chaque seconde éprouvante de ma vie, à chaque souffle de mon âme. Je suis née dans la
douceur, je mourrai dans
l'horreur...
D
epuis maintenant plus de
sept décennies, tout a changé. Je me souviens des temps de jadis, j'étais encore jeune alors. J'habitais déjà à
Everstown, dans la même demeure qu'aujourd'hui, mais j'ai l'impression que c'était un tout autre monde. À l'époque, je n'avais pas
peur. Désormais la terreur me suit partout, elle m'épie, elle me suit et me torture.
T
out d'abord, pour vous raconter le présent, je dois rappeler le
passé. Les livres vous décriront le passé comme une époque d'
ignorance. Et ce n'est surement pas faux. Oui, tout n'était qu'illusion, mais quelle belle illusion ! Nous nous pensions à l'époque en sécurité, nous ne connaissions rien aux profondeurs noires qui nous guettaient, qui menaçaient de nous engloutir. J'ai vécu dans ce monde de clarté pendant dix longues années. À l'époque, les enfants pouvaient courir dans les rues sans que leurs parents n'aient à s'inquiéter, cela semble incroyable et d'une folle inconscience aux gens qui daignent m'écouter radoter aujourd'hui, et pourtant c'était cela nos vies... Je suis une très vieille femme, j'oublie parfois des choses, mais je n'oublierai jamais ces moments de paisible insouciance : je les garde contre mon coeur pendant les quelques misérables heures qui me restent encore à vivre désormais... Mais avant, je dois en laisser une trace, je veux partager avec vous ma vie et tout ce que je sais.
L
orsque j'étais enfant, l'on me racontait des histoires, des contes : l'on me parlait alors de
Vampires, de
Loups-Garous... Je n'y ai jamais cru. Ne me traitez pas d'idiote, personne n'y croyait à l'époque ! Je n'étais pas la seule. Ce n'était que des histoires innocentes, des contes de fées, et je n'aurais jamais cru que mes cauchemars d'enfant seraient en réalité si proches de la cruelle vérité... Notre ville était à ce moment déjà très importante, son
magnétisme était indéniable. Elle attirait de plus en plus de gens qui, à l'époque, nous semblaient bien communs... Ma mère m'emmenait parfois au port, où l'on faisait signe aux arrivants. Ils venaient de partout, mais ils avaient presque tous ce regard mystérieux, cette
aura effrayante que les enfants ont le don de percevoir. J'avais peur des bateaux qui arrivaient, je m'en souviens parfaitement. J'étais terrorisée, mais ma mère séchait mes pleurs et me rassurait. Ce n'était que mon
imagination, disait-elle... J'aurais tant aimé que cela soit vrai.
N
ous étions en
équilibre sur un fil, en équilibre au-dessus des
cauchemars... Mais le fil finit par rompre et nous tombâmes dans les profondeurs obscures de l'inimaginable. C'était le
1er juillet 1935, que je heurtais celui-ci pour la toute première fois. Le temps était couvert ce jour-là. Le temps était souvent couvert à Everstown, mais c'était différent cette fois, comme si le ciel lui-même savait ce qui allait se produire. Tous les habitants s'étaient réunis près du port pour fêter les vacances et l'été, lorsqu'un
homme était monté sur l'estrade, beau et pâle, il souriait à la foule avec un regard qui m'avait alors
glacé le sang. L'on sent toujours lorsque quelqu'un est important, c'est comme si l'air s'immobilisait autour de lui, comme si soudain nous rapetissions pour devenir d'infimes et impuissants insectes. L'on se sent soudain
silencieux devant ce haut menton et ses yeux dévisageants la foule. Cet air-là on ne l'apprend pas : il est ancré dans l'être, dans chaque trait du visage, comme si dès la naissance le destin était tracé. Ce grand homme là se trouvait être le
maire d'Everstown... Et un
vampire. Je me souviens de l'
angoisse qui montait lorsqu'il a dit, de but en blanc, la phrase
fatidique qui changea le monde.
« Je suis un vampire.
Et je ne suis pas le seul. »
P
ersonne n'a ri, tout le monde compris que c'était
important. Au moment même qu'il disait ses sept derniers mots, des hommes habillés tout en blanc nous entouraient. Ils étaient
nombreux, si nombreux que mes yeux furent éblouis par la blancheur de leurs vêtements et teints. Ils étaient tous en blanc, tous de la
couleur pure de la mort. Le grand vampire, pour prouver ses dires, fit amené une femme sur l'estrade, il s'abaissa et le sourire aux lèvres planta ses crocs dans son cou,
métamorphosant ainsi son visage. J'étais perdue dans ses yeux rouges lorsque je remarquais une chose : je connaissais la victime. C'était ma propre mère.
Ma mère se faisait tuer. Elle se faisait tuer sous les yeux de tous. Elle se faisait tuer sous
mes yeux... Et je n'ai
rien fait.
A
près ce jour fatidique, après la mort de ma mère, les Vampires voulant sortir de l'ombre réclamèrent le pouvoir
partout sur la planète. Ils nous étaient
supérieurs en force, nous ne pouvions rien faire. Le Vampire qui avait créé ce chaos avait été tué par d'autres ne voulant pas d'un roi ou d'un chef. Tous se volaient le pouvoir et, finalement, les plus ambitieux partirent chercher des territoires ailleurs. Everstown restait
le rêve de tous les immortels, le sommet qui permettrait de contrôler le monde : aucun ne se risqua à tenter de la dominer. Un an après la révélation de l'existence des Vampires, une grande nouvelle frappa de nouveau le monde. Si grande, et si
importante qu'elle fut relayée partout : journaux, radios et même télévisions. Cette annonce glaça d'effroi tous ceux qui la lirent : les Vampires n'étaient pas seul... Aussi, vivaient des Lycans, des loup-garous, qui estimaient mériter eux-aussi, leur droit de reconnaissance. Une
guerre de quarante-sept longues années en suivi, durant laquelle se battirent
Humains, Vampires et Lycans. Beaucoup de
sang coula, énormément de gens moururent...
A
ujourd'hui, un
équilibre semble s'être installé dans ce monde pourtant chaotique à mes yeux. Un
accord a finalement réussi à être signé, entre les différentes races. Le monde appartient aux Humains, et Vampires et Lycans y sont totalement intégrés, bien que souvent mal-vus, craints et méprisés... Le monde a repris son cours
normal, bien que la peur vive cachée dans le coeur de tous. Le monde entra officiellement dans une aire nouvelle promettant la paix en
1982, mais rien n'est revenu comme avant. Le monde s'est indéniablement divisé : d'un côté les Vampires et Lycans se sont séparés en deux groupes distincts : l'un formé de ceux qui veulent proclamer leur race comme
supérieure, l'autre de ceux qui veulent vivre une vie
normale et qui, comme avant, se font passer pour Humains. Humains qui, eux aussi, sont
déchirés. Certains acceptent, sans rien dire, le monde qui est le nôtre aujourd'hui, voire même le nie, et vivent dans la paix la plus illusoire. Les autres par contre, se rebellent face à l
'injustice poignante de ce monde, de tous ces meurtres impunis... D'autres, en secret, nous protègent et tentent de conserver l'équilibre encore
fragile et incertain de cette cohabitation... J'ai fait partie de ceux-là presque tout au long de ma vie, j'ai moi-même fondé l'organisation principale, combattant les monstres : l'
Organisation d'Orion. J'ai fais quelque chose de ma vie, mais ce ne sera jamais assez, à moins que chaques créatures maléfiques ne soient
exterminée. Cela aura été mon plus grand souhait et je sais que je le confie à de nombreuses personnes. Mon seul
regret est que je m'éteins au pire moment, car en effet nous sommes plus proches que jamais de
la fin du second équilibre, je le sens. Je sens le
choc, la fin de la chute...
E
n effet, désormais le monde voit naitre une nouvelle
désolation, encore sans nom. Plus rien ne sera plus pareil, et cela risque d'être
pire que tout ce que notre univers a vécu jusqu'à maintenant si personne ne fait rien pour l'empêcher de prendre le
contrôle du centre du monde des immortels :
Everstown, elle-même...